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La recherche scientifique, facteur de développement

Pour le Tiers-monde, la recherche n’est pas un luxe. Elle constitue la première des conditions d’un développement maîtrisé localement. Son efficacité ne se réduit pas au montant des crédits : une gestion rationnelle des rares ressources humaines et l’utilisation intelligente de l’aide étrangère sont des conditions tout aussi importantes, en particulier en Afrique francophone. Il appartient aux pays développés d’adapter leur coopération à ces principes, et non de pérenniser des relations de dépendance génératrices de gaspillage et de fuite des cerveaux.


L'objectif premier de tous les pays du tiers-monde est de sortir du sous-développement. Il n’y a pas d’avenir pour un peuple s’il ne dispose pas d’un minimum d’indépendance, c’est-à-dire de moyens qui lui permettent de négocier avec des partenaires. La recherche doit contribuer à asseoir cette indépendance, en particulier dans les domaines de base que sont l’alimentation, la santé, les matières premières, l’énergie, les technologies modernes élémentaires, la culture. Tous les responsables politiques, du Sud comme du Nord, admettent que les réussites et les échecs du développement d’un pays découlent pour beaucoup des choix, politiques, socio-économiques, culturels, techniques qu’il fait, que fait son gouvernement... ou qu’il se laisse imposer. Mais tous reconnaissent aussi que les connaissances fournies par la recherche scientifique facilitent les choix et leur concrétisation.


Ainsi, tous les pays du tiers-monde ont besoin d’une recherche scientifique qui leur permette d’atteindre quatre types d’objectifs :

connaître leur propre milieu : physique, biologique, humain ; leurs richesses et leurs faiblesses, leurs potentialités et leurs manques ;

apprendre à valoriser ce qu’ils ont et ce qu’ils sont. La science réalisée par une société, par un peuple, peut révéler à ce peuple comment utiliser au mieux le milieu où il vit, dont il vit, sans en détruire les richesses, les potentialités, qu’il s’agisse de l’écosystème forestier équatorial (richesses alimentaires, énergétiques, médicales...), des divers écosystèmes aquatiques ou des connaissances, des intelligences, pour adapter, voire pour créer, certaines technologies modernes ;

acquérir, mettre au point, et pourquoi pas inventer des technologies en harmonie avec la culture des peuples concernés ;

participer au progrès mondial des connaissances : ils auront ainsi accès, par eux-mêmes, à l’échange mondial des savoirs dont ils ont besoin pour leur propre développement. Ce quatrième objectif est tout particulièrement important.


Les buts à atteindre sont donc clairs et précis. Mais si la recherche scientifique pour le développement des pays du tiers-monde est finalisée et si les problèmes à résoudre sont particulièrement urgents, on ne saurait se contenter pour autant de la simple application de recherches faites ailleurs. Une telle attitude est en effet dangereuse. Beaucoup d’erreurs de développement ont été commises au cours de ces vingt dernières années : déplacements de populations vers des zones infertiles, développement excessif de la pêche sans connaître les ressources disponibles, irrigation sur des sols mal connus, avec des eaux mal connues, le tout conduisant à une dégradation rapide des sols, infrastructures de santé inadaptées aux habitudes populaires, etc. Certains responsables ont cru pouvoir fonder des choix d’actions sur des recherches trop succinctes et trop rapides. A force d’être pressé, on a perdu beaucoup de temps, on a gaspillé beaucoup d’argent, on a conduit beaucoup de peuples dans des impasses dramatiques.


Contribuer au renouveau des connaissances mondiales

Il n’y a pas de recherche appropriée aux besoins des pays du tiers-monde. Mais il y a des priorités, des urgences, en fonction desquelles il faut savoir, peut-être plus que dans les pays riches, programmer avec beaucoup de rigueur, en tenant compte des connaissances déjà acquises, des recherches en cours un peu partout dans le monde et de l’accessibilité de leurs résultats.


Chaque pays, ou groupe de pays pour les plus petits, doit savoir combiner deux stratégies : construire sa recherche en complémentarité de ce qui se fait ailleurs et ne pas refaire ce qui est déjà fait. Mais aussi construire progressivement un système complet de recherche, en particulier fondamentale, qui doit lui permettre de « fabriquer » et de maintenir chez lui les intellectuels, les techniciens, les producteurs dont il a besoin et de se rendre ainsi plus indépendant des impérialismes économiques, politiques, culturels. Il contribue ainsi, par la valorisation de l’intelligence et de la culture de son peuple, au progrès, voire au renouveau des connaissances mondiales. Le jour où l’Afrique noire sera capable d’avoir une recherche fondamentale autonome, le jour où le monde arabe reprendra totalement confiance en ses propres capacités intellectuelles pour construire un système moderne de recherche, n’y aura-t-il pas des productions originales dont le monde entier profitera ? On doit regretter de voir des milliers d’intellectuels asiatiques, arabes, africains, sud-américains n’avoir actuellement d’autre solution que de rejoindre les laboratoires du monde développé, et donc de se soumettre à leurs modes de pensée. De même, l’innovation technologique devrait être soutenue d’une façon beaucoup plus vigoureuse : la recherche et la communication pourraient promouvoir, en les modernisant, les richesses technologiques des peuples du tiers-monde.


Cela étant, construire un système de recherche, est très long et très coûteux, et il est probable que, pour beaucoup de pays du tiers-monde, cela ne se fera pas sans un appui sérieux des pays développés. Il existe déjà, essentiellement sous quatre aspects :

1) La formation : des milliers de jeunes chercheurs sont formés chaque année dans les universités et dans les instituts européens, américains, soviétiques, etc. ; mais il reste à évaluer sur les résultats concrets de cet important travail ;

2) Le financement d’instituts et d’équipes de recherche des pays du tiers-monde : des sommes non négligeables sont déversées par les Etats développés et par les institutions internationales, essentiellement sous la forme d’équipements de laboratoire ; là aussi, il faut s’interroger sur les motivations de cette aide et sur ce qui est fait de ce matériel ;

3) La réalisation conjointe de programmes de recherche : des chercheurs, voire des équipes scientifiques, des pays développés travaillent en collaboration étroite avec des équipes scientifiques des pays du tiers-monde ; malheureusement, c’est la forme la moins développée de l’appui international ; c’est pourtant la plus intéressante, la plus responsabilisante de part et d’autre ;

4) La réalisation, par des équipes scientifiques des pays développés, de recherches autonomes : elles se déroulent dans les pays du tiers-monde, sur des sujets qui les intéressent, mais elles sont de la seule et complète responsabilité des pays développés.


Menées avec l’accord des gouvernements des pays concernés, elles le sont sans l’accord des chercheurs locaux qui, souvent, ne sont même pas prévenus ; on imagine les problèmes de relations, les frustrations que soulève cette façon de procéder, qui relève d’un paternalisme et d’un impérialisme encore très fréquents aujourd’hui.

Un effort important d’appui à la recherche scientifique nécessaire au développement des pays du tiers-monde est fourni par les pays développés. La France y participe d’une façon notable (environ deux milliards de francs par an). Les résultats de cet effort sont cependant trop souvent décevants. Fréquemment, il ne contribue pas à développer des équipes locales. Dans beaucoup de pays, la production scientifique reste, pour l’essentiel, celle des pays du Nord ; l’une des raisons en est que la démarche d’aide des pays développés (celle des responsables politiques, mais aussi celle des scientifiques) reste trop en continuité avec celles des époques coloniales. Les scientifiques, en particulier, ont rarement su, voire pour certains n’ont pas voulu, pousser à la constitution de véritables équipes internationales Nord-Sud (équipes bilatérales et, encore plus rares, équipes multilatérales).


De plus, les résultats obtenus sont souvent peu utilisés par les pays d’accueil eux-mêmes ou par les institutions de coopération internationales chargées de contribuer au développement.

Etant donné l’effort exceptionnel de la France, la diversité de ses expériences de coopération scientifique, avec ses réussites et ses échecs, ce pays devrait mieux réfléchir à la manière de les valoriser. Parmi les voies à creuser, celle de l’internationalisation des engagements est certainement essentielle.

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